Soft Skills ou Hard Skills ? Dépasser le faux débat
Katya Geraud, fondatrice de Be HR
Pour répondre aux enjeux du futur du travail, une question aujourd’hui revient invariablement sur le devant de la scène : quelles compétences sont cruciales pour rester compétitif et prospérer dans cette ère de robotisation et d’intelligence artificielle ?
Il est clair que ce monde est de plus en plus mouvant et orienté court terme. Ainsi, les compétences d’adaptabilité, de résilience et la capacité à adopter une approche systémique, agile et audacieuse dans la résolution de problèmes plus complexes sont mise en avant. Derrière ces questions : l’employabilité.
Les avancées technologiques ont récemment redéfini les contours de nos emplois et ont remis le débat entre les adeptes des soft skills et des hard skills sur le devant de la scène. En effet, contrairement aux compétences techniques il n’est pas possible de déléguer aux robots les compétences comportementales. Il est facile alors de conclure que les compétences comportementales l’emportent sur les compétences techniques…
Un débat à dépasser
Tout d’abord, il existe une confusion entre les termes « compétences techniques » et « compétences métiers ». Les compétences métiers sont l’ensemble des savoirs faire nécessaires pour réaliser son emploi alors que les compétences techniques sont les savoirs techniques. Bien que la robotisation et l’IA transforment en profondeur un certain nombre de tâches et d’activités, cela ne signifie pas pour autant la disparition des métiers ! Chaque métier, quelle que soit sa nature, nécessite des compétences spécifiques à maitriser. La stratégie de l’entreprise, le contexte, la géographie et le niveau de séniorité et bien d’autres paramètres influencent la réalité terrain. Tous les métiers requièrent une certaine « technicité » pour être exercés et ces compétences ne vont pas disparaitre !
D’autre part, l’utilisation de l’IA dans les activités professionnelles permet certes d’accroitre la productivité mais ne remplace pas totalement ces activités. Au contraire cela nécessite un niveau de compétences métier plus important pour avoir la capacité d’utiliser au mieux les prompts et savoir vérifier les données et propositions faites par l’IA en prenant du recul.
En réalité, c’est la combinaison des compétences métiers et des « soft skills » qui permet aux individus et aux organisations de prospérer dans le futur du travail.
Prenons un exemple concret. Imaginons un data scientist doté d’une très grande expertise technique dans son domaine. Ses tâches liées à la programmation peuvent évoluer grâce l’utilisation de l’IA générative. Les compétences en statistiques et en analyse de données sont facilitées et l’IA lui offre la possibilité d’élargir son champ d’application en générant automatiquement des modèles prédictifs complexes à partir de grandes quantités de données. Cependant, les soft skills sont tout aussi importants dans ce contexte. Le data scientist doit comprendre les besoins et les objectifs métiers de son entreprise. De plus, il doit communiquer efficacement les résultats de ses analyses et prendre des décisions éclairées en fonction des insights générés par l’IA. En développant ses soft skills en parallèle de ses compétences techniques, le data scientist devient un atout précieux pour son organisation. Il peut collaborer avec des équipes multidisciplinaires et transformer les données en actions concrètes, contribuant ainsi significativement à la réussite de projets et à l’atteinte des objectifs stratégiques.
En d’autres termes, ce n’est pas seulement ce que vous savez faire, mais aussi comment vous le faites et avec qui vous le faites qui déterminent votre succès dans un environnement professionnel en évolution constante. Les soft skills sont l’art et la manière de mettre en œuvre ses hard skills nécessaires à la pratique de son métier : l’un ne va plus sans l’autre.
L’intégration des soft skills dans le modèle d’évaluation des compétences
Cela signifie que les entreprises doivent intégrer cette dualité dans leurs processus de recrutement, en évaluant les candidats dans des situations de travail « complètes », en tenant compte des soft skills. Trop souvent encore, ces deux dimensions restent déconnectées dans les processus de recrutement : les compétences techniques sont vérifiées en premier lieu, en se concentrant sur les réalisations – « le quoi » – et les compétences comportementales sont évaluées lors d’entretiens distincts, s’ils ont lieu. Il est important d’évoluer vers des entretiens permettant d’évaluer les compétences métiers et techniques des candidats dans leur mise en œuvre opérationnelle, en s’appuyant sur les soft skills.
Cela est vrai également pour les processus de mobilité interne. Pour rendre plus agile ces mobilités, les entreprises investissent aujourd’hui dans des outils de talent market place. Ces solutions sont en effet de formidables leviers pour décloisonner, rendre plus visibles l’ensemble des opportunités de carrière possibles et rendre ainsi le collaborateur plus acteur de son parcours professionnel. Il est impératif de traduire les termes associés aux soft skills en faits observables et mesurables. Cette approche vise à limiter la subjectivité et à éviter les jugements basés sur des impressions ou des préjugés. En transformant les compétences interpersonnelles en comportements observables et en résultats tangibles, les recruteurs et les responsables de la mobilité interne peuvent prendre des décisions plus éclairées et objectives, renforçant ainsi la pertinence et la fiabilité de leurs processus. Cependant, pour que cela fonctionne réellement il est indispensable que les descriptions de postes intègrent bien les soft skills associés aux compétences métiers. Par exemple, pour notre data scientist, il est crucial qu’il possède une expertise métier en informatique ainsi que des compétences en collecte et analyse de données pour avoir la capacité d’avoir une analyse critique des propositions d’algorithmes émises par l’IA : les seules compétences d’analyse et de synthèse ne suffisent pas tout comme l’expertise en informatique sans la capacité d’analyse et de conseil derrière ne sont pas suffisantes !
Une nécessaire évolution du système de Gestion des Talents
Si, aujourd’hui il y a bien cette prise de conscience de l’importance voire de la nécessité des soft skills pour tenir un poste, il est maintenant indispensable de réintégrer ces dimensions de manière opérationnelle dans les descriptions des activités et de repenser les systèmes d’évaluation des compétences en conséquence, que ce soit lors des entretiens d’embauche (non pas seulement par des test de personnalité, mais par exemple par de « vraies » mise en situation où on l’on peut observer autant les connaissances et hard skills que les soft skills mobilisés mais également lors des entretiens d’évaluation managériaux avec une véritable intégration dans les éléments de performance et d’évaluation du potentiel du collaborateur de ces compétences « soft ».